A Laval, le 24 mai 2018

A Monsieur le Député

Monsieur le Député,

Le projet de loi « Liberté de choisir son avenir professionnel », réformant entre autre l’apprentissage va entrer en discussion au parlement. Ce projet de loi tente de relancer l’apprentissage par la seule approche de marché en donnant aux branches professionnelles la responsabilité de son pilotage, les régions n’étant plus que des acteurs secondaires. Ce rôle minime dévolu aux régions avec des financements réduits ne permettra pas d’assurer l’indépendance, la neutralité et la viabilité des CFA Agricoles.

Les orientations données dans ce projet de loi, qui a reçu un avis négatif de toutes les instances de concertation posent de nombreuses difficultés notamment dans les secteurs qui relèvent du champ du ministère de l’agriculture, ministère qui abrite l’enseignement agricole.

L’apprentissage agricole avec près de 35 000 apprentis couvre les quatre domaines de compétence du ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt que sont la production agricole, la transformation alimentaire, l’aménagement et les services en milieu rural.

L’enseignement agricole compte actuellement 806 établissements scolaires soit 216 lycées agricoles publics, 365 maisons familiales rurales, 214 lycées agricoles privés et 11 centres médico-éducatifs.

Les 174 établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricole (EPLEFPA) ont une composition originale en regroupant dans un seul établissement toutes les voies de formation, soit plusieurs entités : 216 lycées d’enseignement général, technologique et professionnel, 94 centres de formation d’apprentis (CFAA), 152 centres de formation professionnelle et de promotion agricoles (CFPPA) ainsi que 192 exploitations agricoles et 32 ateliers technologiques.

Sur un total de 161 536 élèves, le public représente 62 064 élèves soit 38,42% du total en 2016.

L’enseignement agricole compte 371 sites de formation par apprentissage, dont 205 publics et 166 privés. L’apprentissage représente 16 % des effectifs en formation Initiale. Le taux d’insertion professionnelle varie entre 78 et 92% selon les formations.

Le nombre d’apprentis dans les CFAA publics représente 75 % de l’effectif. L’apprentissage dans le secteur agricole représente ainsi, à peu près 10% de l’apprentissage total.

L’apprentissage dans l’enseignement agricole s’est développé majoritairement dans les deux secteurs professionnels de la production (41,7%) et de l’aménagement (40,6%). Entre 1996 et 2016 le nombre d’apprentis dans l’enseignement agricole a doublé.

Les dangers de l’actuel projet de loi : les raisons de nos inquiétudes

  • Dans le projet de loi, les spécificités de l’enseignement agricole sont absentes et le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation est très peu cité.

  • La loi peut engendrer une désorganisation territoriale de l’enseignement agricole, avec un affaiblissement de son maillage territorial, en raison de son émiettement sur les territoires.

  • La régulation par les branches nous apparaît comme inadaptée. En effet, l’emploi en agriculture est fortement territorialisé et dépend des orientations techniques des exploitations agricoles. Une régulation par les branches nous semble illusoire d’autant qu’elles sont peu implantées dans les territoires. La branche des métiers de l’agriculture s’organise souvent autour du conseil national emploi et de formation et du Conseil régional emploi et formation, mais ne semble pas vraiment structurée.

  • La fin de la régulation des régions dans la création des CFA du monde agricole et le financement au contrat vont développer la concurrence entre composantes( public /privé) et au sein des composantes de l’enseignement agricole sur un marché contraint. Les centres, loin de participer à un développement de l’offre, seront condamnés à se partager l’existant. L’emploi en agriculture est en baisse en tendance longue du fait de la substitution du capital au travail, de la pression des secteurs d’amont et d’aval touchés par la financiarisation, de l’accroissement rapide de la taille des exploitations qui réduit la densité en emploi. La mise en concurrence des établissements de formation ne créera pas d’emploi par une explosion de l’offre mais accroîtra les difficultés financières des différentes voies de formation de l’enseignement agricole.

  • La réforme est dangereuse pour les petits CFA des zones rurales qui étaient financés par des heures groupes et des subventions d’équilibre après dialogue de gestion avec les Régions. Ces centres proposent des formations de proximité pour les jeunes. La « privatisation » du système porte en elle, la disparition d’une offre de formation dans des pans entiers de territoires (zones rurales, zones de montagne, quartiers sensibles) en raison d’un effectif faible d’apprentis (faiblesse des offres d’apprentissage et des candidatures potentielles de jeunes). Cette conséquence pourrait être encore plus élevée dans les collectivités ultramarines.

  • La réforme peut être aussi dangereuse pour les centres plus gros qui accueillent des plates-formes techniques dont il faut financer le fonctionnement.

  • La réforme déstabilisera également les CFA régionaux, qui assuraient le lien avec les Conseils Régionaux les unités de formation par apprentissage ( UFA)

  • Le coût de formation par diplôme défini au niveau national par les branches professionnelles et à défaut par France Compétences peut poser problème pour les secteurs où il y a peu ou pas de taxe d’apprentissage (production agricole, travaux paysagers, services à la personne en milieu rural). Les effectifs de groupes sont très variables et par conséquent les coûts de formation le sont également.

  • Les difficultés financières prévisibles des centres, avec la fin du financement de l’heure groupe et la fin des subventions d’équilibre peuvent se propager aux établissements d’enseignement agricole public (EPLEFPA) mais aussi aux autres composantes de l’enseignement agricole dont les équilibres financiers sont fragiles.

  • Cette situation va contribuer à précariser davantage encore l’emploi des centres qui comptent plus de 6 000 personnes dans les établissements publics et dont plus de 50% des personnels sont en contrat à durée déterminée de droit public (pas de prime de fin de contrat, pas de prime de pécarité, …..). Sur cet aspect la concurrence risque d’aggraver les conditions de travail déjà dégradées.

  • L’embauche des apprentis qui pourra se faire tout au long de l’année va désorganiser les progressions pédagogiques, engendrer des difficultés pour les apprentis et pour les enseignants. Cette mesure risque d’avoir un effet négatif sur les taux d’abandon et la réussite des jeunes.

  • Augmenter le temps de travail des mineurs comme le droit de licencier un apprenti pour faute grave ou inaptitude est une agression contre le monde du travail et la jeunesse. En effet, la teneur du lien de subordination est différente de celle issue d’un contrat de travail en CDD de droit commun. Pour l’apprenti, les acquis se structurent en travaillant (exercice d’activités professionnelles) mais la finalité de l’apprentissage n’est pas la production. Aussi, il semblerait plus légitime : 

– d’augmenter le nombre de jours de congés payés, en particulier pour les mineurs pendant la première année ;

– de garantir l’effectivité du droit à congés pour examens (actuellement de cinq jours par session) ;

– de créer des conseils de la vie apprentie dans chaque CFA ;

– de faire financer par l’employeur l’équipement de sécurité le cas échéant, et l’équipement pédagogique par les CFA ou la Région ;

– de mettre en place un socle de droits nationaux, sur le logement, la mobilité et la restauration.

– d’instaurer la création d’un livret interprofessionnel sur les droits des apprentis devant obligatoirement leur être remis lors de la signature du contrat

– de garantir le droit pour les 5 organisations syndicales représentatives d’intervenir dans les CFA pour présenter aux apprentis leurs droits et le rôle d’un syndicat

  • L’extension de la tranche d’âge jusqu’à 30 ans contre 26 ans actuellement va contribuer à créer de fait tout un secteur de nouveaux emplois aidés.

  • Les modalités de contrôle des CFA et organismes gestionnaires ne semblent pas très affinées à ce jour, alors que l’on libéralise le secteur. Mis à part le fait que le contrôle est partagé entre les branches professionnelles et l’État, les grands principes de modalités sont absents du projet de loi. Feront-elles l’objet d’une discussion ou seront-elles précisées directement par voie réglementaire?

  • Enfin que deviendront les aides des régions données aux apprentis pour leur transport, leur hébergement, leur restauration (THR) et pour leur premier équipement. Certains diront que l’augmentation de la rémunération des apprentis palliera la fin des financements des THR qui se situe entre 150 et 500 € par an. En fait, la fin des aides THR va neutraliser l’augmentation de salaire.

  • Comment sera financé avec ce nouveau « deal » l’accompagnement des apprentis hors enseignement et l’accompagnement tout au long de leur parcours de formation?

Par la présente, Monsieur le Député, nous vous sollicitions pour une rencontre afin de vous présenter notre analyse .

Nous vous prions d’agréer l’expression de toute notre considération.

Pour la section syndicale de l’EPL de Laval

Yoann VIGNER